Rokia, la voix de la musique malienne, insoumise et inclassable. Fille de diplomate, ayant parcouru le monde au fil des affectations paternelles, de l'Europe au Moyen-Orient, elle ne peut s'empêcher de jeter un regard, tendre ou acerbe, toujours aiguisé, sur les affaires du monde. Comme lorsque, sur son dernier album "Né So" (Nonesuch/Parlophone), elle décrit la détresse des peuples déracinés de force et les turbulences de l'Afrique désenchantée, à travers le conflit armé de son Mali natal ("Cette situation de pays en guerre m'a bouleversée et m'a fait perdre une naïveté que je ne soupçonnais pas."). Des mots contre les maux, son ostinato.
Si elle ne goûte les recettes toute faites, Rokia creuse un même sillon, celui d'une voix de velours pour des jeux de passe-muraille, mariant la musique mandingue et les sons modernes occidentaux, les cordes, sensibles, du n'goni et de la guitare acoustique, flirtant avec le jazz, le rock et sa fée électricité, s'acoquinant avec le Kronos Quartet (sur son 3ème album "Bowmboï", 2003), les frères Dalton des quatuors à cordes. La gamine de douze ans, qui écrivait ses premiers textes en bambara, s'est imposée au fil de ses albums et des distinctions comme un griot des temps modernes, d'une Afrique universelle.
"Né So" va en sonner plus d'un. Epaulée de John Parish à la direction artistique, de John Paul Jones à la basse et à la mandoline, de Devendra Banhart au chant et à la guitare, Rokia évoque le chaos de son pays et panse les plaies des hommes, comme dans son aérienne reprise, en apesanteur, du "Strange Fruit" de Billie Holiday. Son manifeste humaniste.
25/02/2016 – Le 104 (Centquatre) Paris 19