Leçon de diversité
25 ans, 800 concerts. Certes, c'est imposant, mais le bilan d’un festival ne peut se résumer à des chiffres. Entretien avec Fabien Barontini, son directeur et fondateur.
Comment ce festival est-il né ?
Je travaillais avec une association sur un petit festival, nous avons proposé au conseil départemental du Val de Marne de soutenir un événement de dimension inter-nationale. Cela a été acté et nous avons bénéficié de la politique volontariste en matière de culture de l’époque, le climat en France étant alors beaucoup plus favorable aux innovations artistiques de proximité. Nous étions aussi dans le droit fil de la démocratisation culturelle, qui s’est accélérée au début des années 1980, d’où le soutien immédiat de l’Etat. En 1983, Banlieues Bleues avait démontré que c’était possible.
En 2016, l’atmosphère est moins propice à ce type d’initiatives…
Oui, alors qu’étonnamment, on en a encore plus besoin aujourd’hui, de par la domination médiatique. Il n’y a pas de musiques à la télévision. En gros, la logique d’audimat qui s’est développée au cours des années 80 est contraire à une vision artistique de la société. La musique se fabrique en direct, à l’échelle humaine. C’est une matière vivante.
Sons d’hiver, c’était aussi montrer une autre diversité…
C’est montrer que les festivals, ça ne se passe pas que l’été ! La musique est une respiration nécessaire, tout le temps. L’hiver est une saison propice à l’intimité, ce qui corres-pond aux lieux qui abritent le festival : des salles entre 200 et 1000 places. Une société est faite de diversité, nous voulions être l’écho de tous ces bruits du monde. C’est pourquoi, cette année, la programmation accueille aussi bien Bad Brains, avec Yasiin Bey (aka Mos Def) que le duo Anja Lechner et François Couturier. La musique est un indicateur de tendances : l’être humain est aujourd’hui appelé à être tout-monde, pour paraphraser Edouard Glissant, comme l’est déjà la musique. C’est ce que nous cher-chons à montrer, même si le socle demeure le jazz et les musiques afro-américaines.
Le public du festival a-t-il évolué au fil des années ?
Des gens reviennent chaque année, mais on a constaté que la population de la région parisienne change beaucoup, en fonction des déménagements. Et le public, lui, se déplace beaucoup, comme il le fait pour se rendre au travail. Une partie du public parisien passe depuis longtemps la barrière du périphérique, rejoignant le public local des théâtres de proximité. Sur quatre-cinq ans, il se renouvelle à 50%, ce qui ne nous empêche pas de maintenir notre jauge totale, environ 7000 personnes. Le but est de garder un état d’esprit musical. Nous avons pu construire une dé-marche, grâce au soutien d’institutions comme le conseil départemental du Val de Marne, le con-seil régional d’Ile-de-France et le ministère de la Culture.
Des noms reviennent souvent, tels Bernard Lubat et Marc Ribot… Cette fidélité est une autre force.
Un festival ne peut couvrir tout le champ créatif ; travailler régulière-ment avec des artistes permet de bâtir une identité, de développer des idées. Un artiste n’a pas tout dit en un concert. Sinon, on ne fait plus que programmer en fonction des nouveaux projets. La question, c’est le processus, plus que le projet. C’est le trajet comme dit Lubat, dont le regard m’a beaucoup aidé. Il suscite le débat. La musique, c’est aussi une pensée sur le monde.
A l’image de cette édition 2016...
Oui, comme par exemple la soirée dédiée aux migrants à travers le projet de Sylvain Kassap, qui avait été programmé en 1991. Il nous donnait déjà à réfléchir sur la question des murs qui se dressent dans le monde, en écho aux photos d’Alexandra Novosseloff. Cette fois, on va mettre en place un débat avec des écrivains. Quand tout autour de nous incline à aller de plus en plus vite, où tout est traité à la manière de slogan, ça pose la question du temps, un facteur essentiel à l’art. Dans une civilisation qui ne prend plus le temps, John Coltrane n’aurait plus sa place !