Musicien touareg né à Tidene, au Niger, Goumour Almoctar a eu mille vies : tour à tour guide d'Angelina Jolie, berger près de Tripoli et enfin guitariste globe-trotter, il a connu les rébellions touaregs de 1990 et 2007, traversé maintes fois le Sahara pour se réfugier en Algérie puis au Burkina Faso. Tous ces événements ont nourri sa musique, ce fameux blues du désert qui s'exporte dans le monde entier depuis une dizaine d'années. Remarqué par Dan Auerbach des Black Keys sur son précédent album (Nomad, sorti en 2013), l'homme en boubou bleu a enregistré le nouveau volet de ses pérégrinations à Woodstock, dans la quiétude d'un studio-ferme, ouvrant là une nouvelle route de la note bleue. Dans ce 4ème album, Azel (Partisan Records), il sort les griffes et les riffs rock western, et invente un nouveau style musical, le "touareggae", mariant le riddim jamaïcain et les transes tamasheq. Plus "ouvert" que jamais pour défendre un peuple long-temps opprimé et un mode de vie nomade grignoté par les autorités sédentaires. Repousser le désert, le monde à l'envers.
Rébellion rock
Le rock, cette musique du diable occidentale, est un vieux compagnon de route : "Adolescent, je vivais à Tamanrasset, dans le sud de l'Algérie, en exil avec ma famille. Je me suis fait de nouveaux amis qui écoutaient ce genre de musique. Puis j'ai eu envie de pousser plus loin, j'ai rejoint Ouagadougou à l'âge de seize ans. Sur place, j'ai rencontré des musiciens qui avaient réussi à dénicher des K7 et des vidéos de musique occidentale, qu'ils vendaient sous le manteau : du rock, Jimi Hendrix, Led Zeppelin, Mark Knopfler...".
A l'époque, la guitare est perçue comme un symbole de résistance au Niger. "C'est un peu exagéré, disons que certains gardiens du temple redoutaient qu'elle nuise aux répertoires traditionnels. Aujourd'hui, notre musique s'est ouverte sur le monde et, surtout, elle réunit les différentes ethnies du pays, les Peuls, Haoussas, Djermas, Toubous, Arabes etc.".
Le Bambin au destin de clandestin rentre au pays en 1993 et fait rapidement danser les rue de Niamey avec ses solos endiablés. Il apprend aussi à composer avec les turbulences politiques du Sahel. En 2007, deux de ses musiciens sont exécutés lors de la rébellion touareg, le forçant à s'exiler au Burkina Faso. Un épisode douloureux qui lui a inspiré le titre "Ashuhada" sur les martyrs du soulèvement : "Le soir-même de ces assassinats, les gens m'ont conseillé de fuir le pays le plus vite possible. Dans des pays comme le Niger ou le Mali, à chaque fois qu'une poignée d'individus lancent un mouvement de rébellion, les jeunes les suivent sans se poser de questions, malgré les risques d'embrasement", regrette-t-il. Mais il est important de rappeler que pour la première fois de son histoire, le Niger a nommé un premier ministre touareg (Brigi Rafini le 7 avril 2011, ndlr), c'était une geste fort ! Il est surnommé le "Sage du Sahel".
Le combat n'est malheureusement pas terminé : tout au long de cet album, Bombino passe outre sa timidité naturelle pour alerter l'opinion publique des risques de disparition de la culture tamasheq ("notre langue ancestrale et notre alphabet sont menacés de disparaître"). Comme il le chante dans son dernier titre, "Naqqim Dagh Timshar" : "La vie avance et nous, Touaregs, continuons de vivre dans l'obscurité / Le monde a changé et nous a laissés dans cet endroit abandonné".
Azel (Partisan Records), sortie le 1er avril 2016
En concert le 07/06 au Café de la Danse
Un article à retrouver dans notre magazine d'avril